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28Nov/17Off

Faire du bon cognac

En descendant, par les ruelles cernées de vénérables demeures en pierre de taille, de l’église Saint-Pierre de Jarnac vers les quais de la Charente, le visiteur peut passer devant la maison Delamain sans la remarquer. Pas de chai aux vitres éclatantes, point de caveau de vente aguicheur, ici tout est discrétion, retenue, secret même. Il faut donc de la volonté pour passer le seuil, signalé d’une petite plaque « Delamain & Cie », pour atteindre les bureaux et les ateliers où sont confectionnés les nectars de cette maison de négoce. Son histoire est une épopée. Les bureaux vernis par la patine des siècles, les planchers, les portes à battants…, tout est resté tel que plusieurs générations de la famille les ont connus. En 1625, Nicholas Delamain fait partie de la suite d’Henriette-Marie de France, sœur de Louis XIII, partie épouser Charles Ier, roi d’Angleterre. Il y reste, est anobli – d’où l’aigle présent sur les bouteilles de la maison – et s’installe alors en Irlande. Un de ses descendants, James, qui occupa la charge d’écuyer maréchal de Dublin, revient en 1759 au pays de ses ancêtres. Il s’associe alors à son beau-père Jean-Isaac Ranson, un négociant de cognac déjà bien installé, depuis Henri IV et les origines de cette eau-de-vie. La maison s’appelle plus tard Roullet & Delamain, puis, en 1920, Delamain & Cie. Aujourd’hui, c’est Charles -Braastad, norvégien d’origine et petit-fils d’une Delamain, qui dirige l’auguste maison. « Les très vieux cognacs, les XO, ne représentent que 10 % environ du volume des ventes mais ils sont une référence pour un produit qui a plus de 400 ans d’existence. » Jean-Bernard de Larquier, président BNIC Mais le cognac n’est pas seulement une histoire d’hommes et de femmes, il est aussi la résultante du temps qui passe, de ces eaux-de-vie qui mûrissent dans des fûts, des dames-jeannes aux ventres rebondis, à l’abri de la lumière et des regards. Dans ses différents chais, Delamain pratique l’orfèvrerie des assemblages, des coupes et des réductions. On est ici dans l’hyper-sélection, celle des achats d’eaux-de-vie et celle des fusions entre les alcools d’âge différent, tous anciens, pour produire exclusivement des XO [pour extra old ;en 2018, la réglementation des XO passera de 6 ans d’âge de vieillissement à 10 ans]. C’est l’élite au sens de la référence haut de gamme, comme en témoigne Jean-Bernard de Larquier, président du Bureau national interprofessionnel du cognac (BNIC). « Les très vieux cognacs, les XO, ne représentent que 10 % environ du volume des ventes mais ils sont une référence pour un produit qui a plus de 400 ans d’existence. Et les maisons familiales jouent un rôle capital », explique-t-il. La bonne santé du cognac peut faire pâlir d’envie nombre de secteurs de l’économie française. Les chiffres donnent le tournis pour ce vignoble de cépages blancs (ugni blanc principalement), l’un des plus importants d’Europe, qui exporte 98 % de sa production : 3,1 milliards de chiffre d’affaires (2016-2017), en progression de 15 % par rapport à l’année précédente, 190,2 millions de bouteilles vendues, dont près de 80 millions uniquement aux Etats-Unis. Dans le bureau occupé depuis mai 2017 par Charles Braastad, les murs ne sont point encombrés de tableaux de statistiques et de courbes reflétant le marché, mais des témoins du passé glorieux de la maison. Y trônent les portraits des ancêtres, James Delamain bien sûr, et, sur la cheminée, un captivant flacon. C’est une carafe signée Baccarat, sertie dans un éventail en cuir évoquant les soufflets des bagages d’autrefois, qui contient un cognac d’exception fait à partir de très vieilles eaux-de-vie, comme autant d’archives liquides de la maison. Produit à 500 pièces, il coûte 7 000 euros l’unité.

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